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Mélissa Boufigi – Place au récit

Elle signe aux éditions Harper Collins Le dernier témoin d’Oradour-sur-Glane, un « récit de vie » de presque 200 pages. Et pas n’importe lequel. Celui de Robert Hébras, dernier survivant et témoin du massacre par la Waffen SS de 643 habitants de son village, dont sa mère et deux de ses soeurs, en juin 1944.

Ce livre, c’est le prolongement d’un reportage qu’elle a réalisé pour Ouest-France à la fin de l’année 2020. Elle y abordait la manière dont s’entretient et se transmet la mémoire du drame d’Oradour. Peu après la parution de l’article, Mathieu Johann, directeur de collections, l’a contactée sur twitter pour lui proposer de faire un livre sur le même sujet. Elle a dit oui…

En temps normal, Mélissa, lauréate de la promo 2006 d’Emergence, écrit pour la rubrique « Nos Vies » du quotidien Ouest-France : « des longs formats numériques sur des sujets de société qui touchent nos vies quotidiennes. La santé ou l’éducation par exemple. » Les témoignages y occupent une place prépondérante.

Ecrire pour témoigner et lutter

Pour Le dernier témoin d’Oradour-sur-Glane, Mélissa a mis sa plume au service d’un témoignage là aussi personnel, mais exceptionnel, et à forte valeur historique et mémorielle.

Depuis plus de 30 ans, Robert Hébras, âgé aujourd’hui de 97 ans, n’a de cesse de témoigner de ce qu’il a vécu, auprès des visiteurs du centre de la mémoire d’Oradour, des enfants des écoles de la France entière, des journalistes et historiens, etc. Il est aujourd’hui relayé par sa petite-fille Agathe. S’il raconte, c’est pour fixer les faits, transmettre la mémoire, et inviter à tirer des leçons de l’Histoire… Une démarche à laquelle Mélissa est sensible et qu’elle est heureuse d’accompagner à travers ce livre. « La parole, le témoignage, le récit… ce sont nos moyens de lutte, nos remparts contre les discours de haine, ceux qui génèrent Oradour-sur-Glane en 1944 ou les attentats de Paris en 2015. Ecrire ce livre, c’est entretenir ces remparts. Je viens d’apprendre que des enseignants d’un lycée de Brest souhaitent l’utiliser comme support de leurs cours sur le devoir de mémoire… J’en suis vraiment très heureuse. »

Ce livre ce document , Mélissa l’a écrit en plus de son travail, au cours de cette année 2021 où s’enchainaient les confinements et les couvre-feu, finalement assez propices aux conversations au fil de l’eau (« parfois des journées entières, de 10h à minuit, autour de la grande table en bois chez Robert »)  et à l’écriture en solo.

On l’imagine bien, Mélissa, en train de questionner Robert Hébras, sa petite-fille Agathe, et leur famille. En train de fouiller les archives du « procès d’Oradour », qui s’est tenu à Bordeaux en 1953, aussi. On sent, chez cette passionnée de l’Histoire et des histoires, une oreille fine, une attention précieuse, l’envie de raconter avec exactitude, de transmettre avec fidélité…

Un livre comme un nouveau challenge

Ce livre, est-ce un accomplissement pour elle ? « Plutôt un challenge », répond-elle. Un de plus en fait, car son parcours d’études et sa jeune carrière de journaliste ont été jalonnés « de défis à relever et d’obstacles à faire tomber ».

Mélissa est lauréate de la quatrième promo d’Emergence. « A l’époque, le processus de sélection était tout à fait différent. C’est le programme qui est venu à moi. J’ai encore en tête l’image de la conseillère d’éducation principale du lycée Montebello me proposant de rencontrer Patrick Clément, manageur d’Emergence à l’époque… Le fait d’être repérée et sélectionnée par Emergence m’a donné des ailes. Je crois que c’était aussi une sorte de signal pour ma mère, lui confirmant qu’elle avait raison d’espérer pour moi une vie moins difficile que la sienne… »

« A l’époque, je voulais déjà être journaliste, j’avais envie de passer d’abord par la fac, et la Sorbonne me faisait rêver… ». Le bac en poche, la toute nouvelle lauréate d’Emergence décroche une place en licence de lettres modernes appliquées, à la Sorbonne. Avec cette place, beaucoup de ce qui la faisait rêver : l’atmosphère toute particulière de cette université renommée, l’ouverture vers des enseignements passionnants…

Mais aussi une réalité plus compliquée : un tout petit appartement du 17ème arrondissement parisien à partager avec sa maman, qui déménage avec elle à Paris faute de pouvoir assumer deux loyers ; les réveils matinaux le week-end pour foncer réserver une place à bibliothèque universitaire ; l’exigence de réussir ses études « dans les temps » avant le terme de la bourse du CROUS…

Il y a heureusement aussi tout ce qu’on ose à 19 ans, porté par l’énergie et la confiance de la jeunesse… « Un jour, dans le cadre de la réalisation d’un mémoire, j’ai appelé les grands reporters de guerre de Paris Match pour leur demander un entretien. C’est Caroline Mangez, aujourd’hui rédactrice en chef, qui m’a reçue… Je lui ai demandé de devenir ma marraine dans le cadre du programme Emergence. Elle a accepté, par intérêt pour ce que j’entreprenais et ce que permettait Emergence. Et aussi parce qu’elle est lilloise ! Grâce à elle, j’ai décroché mon premier stage à la rédaction de Paris Match. »

« J’espère que nous assumons aujourd’hui davantage nos histoires et nos trajectoires »

Une fois en 3ème année à la Sorbonne, soutenue par la prépa La Chance, une prépa gratuite créée par des journalistes, Mélissa passe les concours des écoles de journalisme. Elle intègre l’IPJ, l’une des meilleures écoles de journalisme de France. « Deux années un peu en demi-teinte… J’ai appris le métier, mais l’atmosphère était moins porteuse qu’à la Sorbonne. Je ressentais davantage de compétition ; je me sentais en décalage. C’était coûteux aussi. Nous étions très peu d’étudiants à être boursiers. Ma mère a dû faire un nouvel emprunt… C’était vraiment compliqué ; nous avons galéré… »

« 15 ans plus tard, même si le journalisme est un milieu qui reste difficile d’accès, j’ai le sentiment que les choses ont évolué… Les écoles se sont ouvertes ; le monde du journalisme s’est diversifié. Les promos de La Chance sont plus conséquentes. L’alternance, qui a contribué à rendre les études plus accessibles, s’est popularisée. Je constate plus de diversité dans les origines sociales des étudiants en journalisme… Et aujourd’hui, cette diversité est valorisée ; j’espère que cela signifie aussi que nous assumons davantage nos parcours et nos histoires. »

Une fois diplômée, Mélissa intègre Le Parisien. A un poste de journaliste au sein du secrétariat de rédaction, dont le rôle est de coordonner l’édition des articles et la mise en page du journal. « J’aime ce métier de mise en musique de l’actualité : choisir les photos des articles, écrire les titres, les intertitres, éditer les textes, etc. »

Dix ans plus tard, en 2020, elle rejoint Ouest-France. A ce poste de journaliste long format donc. Avec une actualité intense. Il y a le livre avec Robert et Agathe Hébras. Et aussi la couverture qu’elle assure, depuis 9 mois, du procès des attentats parisiens de novembre 2015. Elle s’y impose bien sûr la même exigence dans le « rendre compte ».

On dit souvent que le métier de journaliste est difficile, précaire… Confirme-t-elle ? « Oui… Mais si c’est le métier dont on rêve, il ne faut pas hésiter, il faut oser y aller. Un rêve, c’est précieux ! » On la croit sur parole puisque, elle, elle y est allée…

Découvrir Le dernier témoin d’Oradour-sur-Glane sur le site des éditions Harper Collins.

 

Crédit photo : Thomas Bregardis / Ouest-France