Interview
Le logement accompagné : une partie de la solution au mal-logement
18 mai 2016
En janvier 2016, Didier Vanoni, directeur de FORS Recherche Sociale, présentait les résultats d’une étude réalisée par ses équipes au sein des résidences sociales d’Aréli. Nous sommes revenus vers ce sociologue expert du logement et du développement social urbain avec une question principale : en quoi le logement accompagné peut-il être une solution à la crise du logement ?
Son éclairage.
150 000 personnes sans domicile fixe… 3,8 millions de personnes mal logées… 12 millions de personnes touchées à des degrés divers par la crise du logement. Les chiffres sur l’état du mal-logement en France sont alarmants. Doit-on en conclure que le système d’accès au logement est inefficace ?
Didier Vanoni : Le système d’accès au logement a quand même une certaine efficacité, puisque 3 millions de personnes parviennent à changer de logement chaque année… Mais il est vrai qu’un grand nombre de personnes sont sans logement ou en difficulté avec le logement…
Face à cette situation, le système français produit de plus en plus de dispositifs, d’instruments de régulation… Ce sont davantage des systèmes de « coupe-files », comme on peut en trouver dans les lieux où l’attente est trop longue… Mais on ne produit pas plus de logements.
Il faudrait comprendre ce qui cause cette absence de fluidité et en tirer des leçons pour l’avenir.
Qu’est-ce qu’être mal-logé en France aujourd’hui ?
DV : Les situations sont multiples. Etre mal logé, c’est par exemple ne pas avoir de logement à soi. C’être aussi être hébergé de façon contrainte chez un tiers. C’est être obligé de vivre dans un squat, dans un camping… Certains établissements secondaires de Seine-Saint-Denis estiment que près de 20 % de leurs élèves ne vivent pas dans un vrai « chez eux ». Etre mal logé, c’est aussi avoir du mal à accéder au logement dont on a besoin, soit parce qu’on ne peut pas présenter les garanties nécessaires, soit parce que ce bien n’existe pas sur le marché : le locatif accessible n’existe pas toujours en milieu rural par exemple. Sur le littoral, il peut être réservé aux touristes…
Etre mal logé, c’est enfin être logé, mais dans des conditions d’inconfort inacceptables aujourd’hui, ou être logé, mais se trouver, de fait, en situation de surendettement, voire d’expulsion. Ou alors être logé, mais ne pas pouvoir changer de logement quand arrive un nouvel enfant, quand une possibilité d’emploi se dessine ailleurs…
Comment expliquer qu’autant de personnes soit aux portes du logement ?
DV : Les 5 à 10 % de personnes en difficultés de logement ne le sont pas définitivement… Elles sont souvent dans des étapes de vie où le système de logement français ne peut pas proposer une réponse satisfaisante. On le sait : il faut au moins 6 mois pour traiter une demande de logement social. Or un jeune devrait pouvoir trouver un logement à l’horizon d’un mois, car son besoin est immédiat et sa situation peut évoluer rapidement. Dans certains pays, on peut trouver un logement dans la journée. Au Québec par exemple.
Notre système rend très difficile l’autonomie en matière de logement. À 30-35 ans, on vous demande encore une caution parentale. Notre système n’arrive pas à prendre en compte les ruptures familiales, les entrées de plus en plus tardives dans la vie active. Aujourd’hui, on obtient un CDI à l’âge de 30 ans. Or le bailleur, lui, attend toujours des fiches de paie et un compte en banque bien garni.
Enfin, notre politique du logement ignore les flux migratoires. 200 000 personnes qui entrent chaque année sur le territoire de façon régulière (50% pour motif familial et un tiers avec le statut d’étudiants), cela débouche souvent sur de la sur-occupation, et dans le pire des cas, sur des bidonvilles aux portes des villes…
En quoi le mal logement est-il un coût pour la société ?
DV : Une chambre d’hôtel dans laquelle on héberge une famille dans le cadre des dispositifs d’urgence coûte 2 200 € par mois, si l’on prend également en compte, bien sûr, les frais liés à l’orientation, à l’accompagnement social… La ville de Paris consacre à elle seule 23 millions d’euros par an aux nuitées d’hôtel.
Et le mal-logement a également des coûts indirects : échec scolaire, chômage, problèmes de santé…. Certaines personnes ne peuvent pas rentrer chez elles après un traitement médical car leur logement n’est pas adapté pour les recevoir (il peut être insuffisamment chauffé, ou pas accessible par exemple). On doit alors les garder en chambre d’hôpital, pour un coût de 600 € la journée. Ne pourrait-on pas imaginer d’autres solutions ?
Beaucoup considèrent que la gestion sociale revient très chère. Plusieurs organismes HLM ont cherché à évaluer réellement le coût de la gestion sociale dans leur budget général, et surtout à évaluer son retour sur investissement. Ils ont établi qu’à chaque euro investi pour prévenir les impayés correspond quasiment un euro de non-dépense. Il serait donc plus judicieux de soutenir tout le travail effectué en amont (par les gardiens d’immeubles, par exemple) qui permet de maintenir l’impayé dans des proportions raisonnables.
Quels seraient les principaux leviers à mettre en oeuvre pour répondre aux situations de mal-logement ?
DV : D’abord, il ne faut pas inventer de nouveaux dispositifs ! Il faudrait surtout apporter une réponse claire à la question : qui est responsable du non-logement ? Est-ce l’État ? Les collectivités territoriales ? Les bailleurs sociaux ? Les compétences sont diluées entre différents niveaux, ce qui entraîne les coûts, lourdeurs et lenteurs administratives déjà évoquées. Je pense que les EPCI (Etablissements publics de coopération intercommunale) sont les mieux placés pour traiter la question.
Ainsi, si l’on prend l’exemple de Rennes Métropole : avec son PLH (Programme local de l’habitat), la collectivité s’est imposé une obligation de résultat : aucun Rennais ne doit être mal logé ou non logé. Elle a donc pris la responsabilité de résoudre toutes les difficultés de mal-logement sur son territoire. Pour cela, la collectivité a construit des logements, encadré les prix et redonné des fonds propres aux bailleurs sociaux pour les accompagner dans leur politique. Elle a créé une AIVS (Agence immobilière à vocation sociale) qui dispose de 500 logements tampons pour gérer l’urgence et les délais de passage de l’hébergement au logement. Même si tout cela s’appuie sur un partenariat très ancien et très fort, l’important, ici, c’est que le leadership soit parfaitement assumé par l’EPCI.
Voyez-vous d’autres sources d’inspiration ?
DV : Oui, au Québec ! Le système de logement social québécois est lié à la politique d’immigration. Il permet aux personnes qui entrent sur le territoire de bénéficier d’un logement en ville avec un projet d’insertion (apprentissage de la langue, de l’autonomie administrative, prise en charge des enfants…). Ces personnes paient un loyer correspondant à 25 % de leurs ressources. Quand elles atteignent un certain seuil de revenus, elles ont un an pour quitter ce logement.
En quoi l’exemple québécois nous intéresse-t-il ? D’abord, ces logements sont dans la ville ; à côté, le marché est fluide ; le projet d’intégration fonctionne… Il existe aussi un système de logements sociaux pour personnes âgées, des « projets d’immeubles » qui favorisent le vivre ensemble. C’est un peu le logement accompagné généralisé. Tout est intégré : un projet, un logement, des ressources et le projet de quitter le logement social.
Cela signifie-t-il que logement accompagné peut être une partie de la solution au mal logement ?
DV : Le logement accompagné a beaucoup d’atouts. Le premier, c’est de ne pas être stigmatisant, contrairement à l’hébergement.
Le logement accompagné offre une meilleure adaptabilité aux situations et une meilleure réactivité : on y entre de manière beaucoup plus fluide. Il propose une formule « tout compris » pour les ménages. Il propose une présence, une vie collective, à l’heure où de plus en plus de personnes, tous âges confondus, vivent de manière isolée.
Et puis, il est d’un faible coût social. On aurait d’ailleurs intérêt à mieux évaluer et valoriser l’investissement et le retour sur investissement de l’accompagnement social dans les structures du logement accompagné.